5.

San Diego, Californie, juillet 1967

 

Will Sheperd, six ans, rêvait d’Indiens. Frénétiques et impitoyables, montés sur des chevaux qui ruaient et renâclaient bruyamment, ils déferlaient sur lui par vagues entières en pointant sur son cœur des flèches longues comme des lances. Will se régalait. Tout ce tumulte, ce sentiment de danger… C’était comme un véritable film qui se déroulait dans sa tête.

Il entendit un splash !

Ridicule. Will ouvrit les yeux, les referma aussitôt et ne tarda pas à se rendormir.

Très vite, cow-boys et Indiens reprirent le combat.

Pas de splash ! Pas dans son film, en tout cas.

À 7 h 45, Will se réveilla de nouveau. Cette fois-ci, il s’habilla sans bruit pour ne pas déranger son frère Palmer qui dormait encore, et descendit. Le silence régnait dans la maison.

Dans la cuisine, Will prit un bocal de gelée de raisin, un pot de beurre de cacahuète, du lait et la moitié d’un pain de mie. De quoi se préparer un bon petit déjeuner. Pas besoin de maman. Besoin de personne.

Mais, tout en contemplant son visage et sa tignasse blonde sur le flanc du grille-pain étincelant comme un miroir, Will s’avoua que sa mère lui manquait énormément.

Il aurait tant aimé qu’elle lui fasse ses tartines de confiture et de beurre de cacahuète.

Will savait qu’elle était partie vivre à Los Angeles. Bien sûr, les violentes altercations entre ses parents n’étaient maintenant plus qu’un lointain souvenir, mais en cet instant précis, Will aurait préféré les voir se battre plutôt qu’affronter ce silence. Parfois, leur mère leur manquait tellement que Palmer et lui fondaient en larmes aux moments les plus idiots. Le plus souvent, pourtant, il la détestait. Mais pas aujourd’hui.

Soudain, quelque chose lui revint à l’esprit. Le splash ! dans la piscine. Il ramassa son assiette et son verre pour les poser dans l’évier et courut ouvrir la porte-moustiquaire.

Dehors, les moineaux profitaient déjà du soleil.

Will fit le tour de la maison de bois blanc et bleu. Une fois au bord de la piscine, il s’arrêta si brutalement qu’il faillit perdre l’équilibre.

Et il se mit à pousser des hurlements si stridents qu’ils réveillèrent son petit frère, dont le visage apparut à la fenêtre.

Will hurla si fort que les voisins se précipitèrent à son secours. Ils le prirent dans leurs bras en s’efforçant de le tenir à l’écart de ce qu’il avait déjà vu et ne pourrait jamais oublier.

L’enfant de six ans venait de découvrir son père flottant dans la piscine, avec son peignoir rouge écossais et son pantalon beige, une pantoufle jaune encore au pied. L’autre se trouvait un peu plus loin sur les eaux irisées comme un nénuphar à l’abandon.

Son père le regardait. C’est ta faute, semblaient dire ses yeux figés. Méchant garçon. C’est ta faute, Will.

Tu vois ce que tu as fait !

Tu vois ce que tu as fait !

À 5 h 52, Anthony Sheperd était sorti de la maison familiale pour aller se noyer dans la piscine, entraînant dans sa disparition tout ce qui pouvait encore être sauvé chez Will Sheperd.

 

Quelques jours après le suicide de leur père, Will et Palmer passèrent leur dernier après-midi en Californie à trier leurs vêtements et leurs jouets. Ils avaient droit à deux valises chacun. Deux, et pas une de plus.

Leur mère avait refusé de les héberger et personne ne leur avait dit pourquoi. Pauvre conne, se dit Will. C’était un des gros mots que son père criait quand ça bardait à la maison. Les deux enfants avaient été confiés provisoirement à leur nourrice, mais elle ne voulait pas s’occuper d’eux non plus. Alors on leur avait annoncé qu’ils allaient partir pour l’Angleterre où là, on voulait bien d’eux. Ils allaient commencer une nouvelle vie chez leurs tantes Eleanor et Vannie ; ils ne les avaient jamais vues, mais c’étaient elles qui avaient instauré la règle des deux valises.

À l’aéroport international de Los Angeles, au milieu d’un brouhaha indescriptible, le visage grave, l’air désemparé, les deux gamins blonds qui se ressemblaient tellement attendaient leur vol. Le Dr Engles, l’un des rares amis de leur père, les accompagnait. Le Dr Engles leur parlait de Londres, de la reine, du changement de la garde à Buckingham Palace et toutes ces histoires à la noix comme dans les poèmes que la mère de Will lui lisait dans le temps, avant qu’elle parte. Mais Will n’écoutait guère ce crétin d’Engles. Il revoyait son père flottant dans la piscine et le fixant des yeux depuis le royaume des morts.

« Les passagers du vol Pan American 411 à destination de New York et Londres sont invités à embarquer », annonça une voix que Will entendit parfaitement, cette fois.

— On y va ?

À ces mots, Will mordit sauvagement, jusqu’au sang, la main que lui tendait le Dr Engles.

— Mais il est fou ! glapit l’autre en lui expédiant une claque de l’autre main. Sale petit con, va !

Will ouvrit la bouche. Ses dents étaient rouges.

— Je veux pas aller en Angleterre ! Pourquoi on peut pas rester ici ?

« Papa, s’il te plaît. Maman, s’il te plaît. Quelqu’un peut m’aider ? Je voulais pas tuer mon papa, je voulais pas. Papa, s’il te plaît, arrête de me regarder comme ça. S’il te plaît, papa. »

LA DIABOLIQUEpourepub
titlepage.xhtml
LA DIABOLIQUEpourepub_split_000.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_001.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_002.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_003.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_004.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_005.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_006.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_007.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_008.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_009.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_010.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_011.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_012.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_013.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_014.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_015.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_016.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_017.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_018.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_019.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_020.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_021.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_022.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_023.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_024.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_025.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_026.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_027.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_028.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_029.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_030.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_031.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_032.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_033.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_034.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_035.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_036.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_037.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_038.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_039.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_040.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_041.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_042.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_043.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_044.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_045.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_046.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_047.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_048.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_049.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_050.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_051.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_052.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_053.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_054.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_055.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_056.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_057.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_058.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_059.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_060.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_061.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_062.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_063.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_064.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_065.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_066.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_067.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_068.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_069.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_070.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_071.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_072.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_073.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_074.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_075.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_076.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_077.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_078.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_079.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_080.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_081.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_082.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_083.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_084.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_085.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_086.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_087.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_088.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_089.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_090.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_091.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_092.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_093.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_094.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_095.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_096.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_097.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_098.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_099.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_100.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_101.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_102.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_103.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_104.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_105.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_106.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_107.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_108.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_109.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_110.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_111.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_112.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_113.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_114.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_115.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_116.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_117.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_118.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_119.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_120.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_121.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_122.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_123.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_124.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_125.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_126.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_127.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_128.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_129.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_130.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_131.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_132.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_133.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_134.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_135.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_136.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_137.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_138.htm